Derrière les poteaux : Les fantômes #23
Publié le mercredi 19 avril 2017 à 06:00

Dans ce sprint final, ce Brive - Bordeaux allait coûter cher ou rapporter gros en fonction d'être vainqueur ou perdant. Après deux belles victoires contre Montpellier et à Clermont, Brive faisait figure de favori. Sauf que patatras, la belle série s'est pris un mur et voilà que ressurgissent les fantômes

Pendant que Benjamin Lapeyre se fait soigner, ses coéquipiers du CA Brive se réunissent durant la rencontre face à l'Union Bordeaux Bègles

 

Après la grande surprise de Bannockburn, quand un petit club inférieur en tout point avait renversé un géant, après que cette bande de zèbres à l’âme très écossaise ait étouffé le grand volcan d’Auvergne, il s’était passé quelque chose de rare.

Comme le soleil appelé par l’aube se hisse à l’horizon, un rêve gravissait une à une les marches des nuages, un rêve désormais tangible, déjà plus vraiment un rêve, mais quasiment une réalité. La réalité de participer à la bataille pour les phases finales, cette chose si loin de nous depuis plus d’une décennie que nous n’y pensions que dans le secret de nos cœurs, et encore, en y pensant sans en avoir l’air, tellement effrayés que le fait d’y songer fasse disparaître cette chose si précieuse, au goût si subtil.

Ce samedi soir, à l’heure où les glaçons tintent dans les verres et où les cacahouètes sentent venir l’hallali, ce qui n’était plus tout à fait un rêve mais pas vraiment une réalité ne demandait qu’à surgir, sous les crampons ébouriffés de touffes d’herbe, sous les gouttes de sueur, sous les vivas du stadium : oui, tout cela ne demandait qu’à jaillir dans un feu d’artifice. Les visiteurs, ces fameux girondins, si difficiles à appréhender mais plombés dans une phase de doute, venaient chez nous pour vivre ou pour mourir, tout simplement. Ils vainquaient et ils continuaient d’espérer, ils perdaient et c’en était fini définitivement. Cette équipe aux deux visages restait cachée, en embuscade, et bien malin celui qui pouvait dire laquelle se dresserait devant nous, l’impétueuse et enflammée, ou la friable et balbutiante ? Il va sans dire que dans les travées grises d’Amédée Domenech on votait pour affronter l’Union Bègue Bordeaux plutôt que l’Union Bègles Bordeaux.

Mais voilà, emmitouflés dans nos rêves de phases finales, accrochés au parfum du combat pour le titre, aveuglés par le reflet éclatant du bouclier si convoité, nous, les supporters de tout poil, avions oublié un paramètre décisif, pour ne pas dire dès Sisyphe : nous avions oublié que les acteurs de ce jeu spectaculaire n’étaient que des gamins, des jeunes hommes pour lesquels pas mal de choses restaient à vivre, pas mal d’expériences attendaient d’être vécues, et que dans le vortex des émotions, gérer la sienne dans les méandres des sentiments collectifs n’étaient pas une chose aisée.

Ainsi donc, quand les rideaux blancs se sont ouverts sur ce pré si vert, sous ce ciel si bleu, encerclés par cette foule bicolore, ce ne sont pas nos fameux zèbres qui ont foulé le gazon, non, c’était leurs fantômes. Des fantômes envoyés au casse-pipe parce que les héros étaient restés dans les vestiaires, paralysés par l’enjeu, leurs corps désincarnés immobiles sur les bancs, bien planqués dans le ventre gargouillant de la tribune Europe. Ah que les cœurs devaient tambouriner sous la clameur des chœurs. Ah que les cervelles devaient se consumer sous le feu des scansions. Peut-être que seule la peur de gagner peut desquamer l’armure du courage. Nous n’avons à faire qu’à des hommes, de simples hommes, des mecs ordinaires qui parfois réalisent des choses extraordinaires. Ainsi donc, malgré le tégument de leur amitié indéfectible, ils doutaient, et peut-être que leur bravoure souffre d’un défaut lucifuge. Une fois sous les feux des projecteurs, avec tous les regards du rugby braqués sur eux, ils ont manqué le rendez-vous, ils se sont loupés à leur propre rencontre.

L’esprit humain a cela d’imprévisible qu’il peut se dresser au moment où on s’y attend le moins, comme contre Montpellier, ou contre Clermont, et puis s’évaporer à un instant inattendu, contre Bordeaux-Bègles. Il faut croire que nos guerriers ne sont jamais meilleurs que le dos au mur. Ils ont besoin de ce danger, de cette menace, de ce réflexe de survie. Mais samedi ce n’était une question de survie, alors …

La déception est grande, mais je ne décèle point de rancœur dans mon palpitant. Peut-être que je n’y croyais pas tout à fait moi-même, alors comment le reprocher à nos zèbres ?

Mais rien n’est terminé, ce grand barnum qu’est devenu le Top 14 n’en fini plus de gesticuler, de se secouer, d’élancer de stress et de briller de suspense. Il est donc probable que tout se jouera à Pau, une équipe porte-bonheur dans notre histoire. Et puis pour mener une bataille décisive mieux vaut la livrer loin de ses terres, pour protéger la population.

Malgré la défaite de samedi dernier, paradoxalement, nous avons reçu des éléments de réponse que nous attendions depuis des lustres. Comme la confirmation du bon niveau de Matthieu Ugalde à l’ouverture, comme la très bonne alchimie entre cette paire de centres complémentaires que constituent Benjamin Petre et Thomas Laranjeira. Mais aussi sur notre troisième ligne de feu et d’acier interchangeable mais toujours compétitive, l’attelage de seconde ligne très aérien et une première ligne plus forte quand Karlen Ashiesvili joue. Ce mec je vous le dis, est un sacré joueur. Cette rencontre perdue sur au final pas grand-chose (il s’en est fallu d’un rien, de presque rien …) nous en apprend aussi beaucoup sur le mental et la motivation de Benjamin Lapeyre et Fabien Sanconnie, des gars sur tous les fronts et dans tous les bons coups. Intenables. C’est aussi un qualificatif qui sied à merveille à Teddy Iribaren. Et notre américain à Brive, Takudzwa Ngwenya qui tient superbement la baraque, un danger en attaque et très présent en défense. Avec ces trois-quarts là, je crois qu’on tient quelque chose. Un truc qui tient de la bonne formule. A l’arrière, Gaëtan Germain a fait du Germain, gros coup de tatane, précision chirurgicale. Dans l’animation en revanche, il y a un peu de chemin à faire, mais n’oublions pas que notre artilleur en chef est un jeune joueur qui va progresser.

Samedi, sur le pré, autour de ce CAB aux deux visages bien des fantômes s’étaient donnés rendez-vous. Les fantômes de la saison passée, ceux qui errent du côté d’Agen. Les fantômes de la saison de la descente, quand l’UBB nous avait donné le coup de grâce et condamnés à l’exploit à Clermont lors de l’ultime journée. Le fantôme d’Oyonnax peut-être aussi, exemple d’un petit poucet ambitieux en phases finales et relégué la saison suivante.

Enfin, certainement l’ombre de celui d’Arnaud Méla, capitaine absent, presque banni. Je pense souvent à lui depuis ce début de printemps. Le club ne communique pas sur son cas, rien d’étonnant, la communication et le club ça fait deux. Alors les gens causent, colportent des rumeurs, inventent des histoires. Chacun croit savoir le fin mot de l’histoire. En fait on s’en fout de savoir, on s’en branle de ce qui s’est passé. Nous, le peuple noir et blanc, nous désirons juste ardemment dire au revoir à notre capitaine légendaire, lui témoigner notre reconnaissance infinie, lui crier notre gratitude pour ces 9 années irréprochables, dans les hauts comme dans les bas. Pour le dernier match à la maison nous voulons notre « Nono », nous l’exigeons. Oh pas besoin qu’il joue toute une mi-temps, non, mais nous voulons le voir cahoter sur le pré encore un peu, avec ce rictus d’effort et ce regard qui a si souvent porté le groupe au cœur du combat. Nous voulons lui dire combien on l’aime, et peu importe ce qui s’est passé dans l’envers du décor. Je n’oublie pas Jean Baptiste Péjoine et Guillaume Ribes, mais eux ils jouent, c’est différent. A moins que nous soyons dépourvu de mémoire et d’humanité, et que nous nous avilissions à laisser partir ce grand joueur comme un renégat, loin des applaudissements amplement mérités et sans tambour ni trompette. Ce serait dommage, pour lui, pour nous, pour notre honneur, pour l’image du club. Mais je refuse de croire que nous ayons si peu de mémoire …

Organiser les conditions décentes à une fin de carrière exemplaire, permettre aux supporters de dire Merci, faire de ce moment un évènement gravé dans l’esprit de notre capitaine historique, c’est exactement l’esprit du rugby que j’aime. Aurait-il cessé d’exister ?

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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