Derrière les poteaux : J'ai mal à mon rugby #59
Publié le jeudi 20 février 2020 à 11:00

Le rugby traverse une mauvaise passe actuellement. Il est en train de changer de visage, un visage qui fait mal à certains qui aimeraient revoir le rugby d'avant. Les supporters sont les gardiens du temple, un temple en évolution. Pour le meilleur comme pour le pire.

"Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage."

Une vieille formule paysanne, qui a traversé les décennies et peut-être même quelques siècles. Certains dirigeants de ce club seraient bien inspirés de ne pas oublier sur quelle terre ils se trouvent, d'où viennent les supporters, ceux qui enfouissent leurs mains dans leurs poches pour en extraire quelques précieux billets froissés et les donner au club. Ce club qu'ils aiment mais qui aussi les insupporte, quand il maltraite ses joueurs, se vautre dans l'ingratitude la plus nauséabonde. Quand il se fait calculateur, qu'il intrigue dans les arrière-terrains, monte des cabales pour se débarrasser d'un joueur exemplaire qui n'a jamais triché, jamais calculé, ne s'est jamais économisé. On dit que le rugby est pratiqué par des voyous qui se conduisent comme des gentlemen. Il semblerait qu'en certains endroits, on manque de gentlemen.

Le rugby est devenu professionnel, l'ironie veut que ce soit à Brive que ça soit arrivé, en 1995. Maintenant les clubs sont des entreprises, qui fonctionnent en entreprises, avec des objectifs, des chiffres, des camemberts qui ne coulent jamais, des fichiers excel qui donnent la migraine et la grande froideur d'un serpent tapi dans l'ombre. Mais le rugby fonctionne avec des valeurs, qui sont malmenées depuis des années, presque sacrifiées sur l’autel du rendement, du sacro-saint budget, des si précieux partenaires sans qui soi-disant, le club n’est rien. Pourtant ce club était tout avant l’ère professionnelle. Les mots « entreprise » et « rugby », mis ensemble, ressemblent beaucoup à un oxymore. Ah ! j’oubliais ! Il y a aussi la très importante Image ! Je me demande quelle gueule elle a aujourd’hui et depuis quelques jours, dans le cœur des supporters, l’Image du club, avec sa catastrophique communication, si on peut encore nommer cela de communication.

Nous, les supporters, ceux sans qui rien n’est possible, ceux sans qui le stadium ne serait qu’une coquille de béton et d’acier vide, sans vie, triste et misérable, nous portons encore ces valeurs. Parce que nous aimons les hommes qui portent ce maillot, qui payent comptant sur le terrain, ces mecs qui offrent leurs plus belles années à ce sport qui se galvaude peu à peu. Nous les supporters, nous n’avons d’yeux que pour ces gars ruisselants de sueur, perclus de douleurs, recouverts l’hiver d’emplâtres de boue, fumants sous l’effort de la mêlée, inspirés parfois dans le jeu à la main, solidaires, humains, terriblement humains dans leurs faiblesses, terriblement attachants dans leur courage.

Les joueurs arrivent au club et nous les accueillons, nous les observons, les jaugeons, les critiquons, ils nous déçoivent et nous émerveillent, parfois dans le même match. Ils nous régalent et nous agacent, parfois dans la même mi-temps. Les joueurs arrivent au club, ils y passent un certain temps, une année, deux ou trois, plus rarement quatre ou cinq ans, exceptionnellement plus. Il suffit des doigts d’une main pour compter ceux qui restent plus de huit ans, qui creusent leur trou, bâtissent leur maison, tissent des liens puissants avec la population, aiment vraiment ce pays, cette région qui n’a pas grand-chose pour elle que ses collines et ses rivières, son ciel cobalt l’été quand le jour s’en va sur la pointe des pieds. Une contrée qui ressemble au Canada à l’automne, qui revigore les couleurs, les rend plus éclatantes, plus présentes, qui exacerbe les odeurs, les fragrances, ce lieu où même les jours de pluie ont quelque chose à raconter. Alors, quand quelques joueurs de rugby déposent leurs valises pour une décennie, nous, les cul-terreux, les ploucs de Corrèze, nous nous sentons honorés. Nous n’avons pas beaucoup d’argent, nous n’avons pas de grands médias, nous n’avons pour nous que notre cœur, notre flair et nos mains pour les applaudir.

Nous avons des troupeaux de Limousines et de Salers et un seul Bison. Le même qui orne le blason d’un régiment qui a depuis longtemps prouvé sa valeur. Les origines, les racines, on en revient toujours à ça.

Les joueurs arrivent, jouent, bien ou mal, puis ils s’en vont ailleurs. Ils sont devenus une sorte de marchandise, il suffit de lire les messages sur les réseaux sociaux, sur les forums. Il suffit d’écouter les mots qui sortent des bouches des dirigeants. On achète un joueur, ou on le forme, et puis on le vend. Le plus souvent, avant de se demander comment il joue, quelle personne il est, comment sa famille vit son implantation, on se demande combien il vaut, on calcule combien on pourrait en tirer, s’il a une belle gueule et combien il fera vendre de maillots. On déplore ce qu’il nous coûte lorsqu’il est blessé. Le joueur comme le travailleur est considéré comme une simple ressource. Pour moi l’un et l’autre sont une richesse. Sans eux rien n’est possible. Vous pouvez bien recouvrir l’herbe hybride de beaux billets de banque, s’il n’y a pas des mecs en crampons pour se faire l’offrande du ballon, il ne se passera rien, les gradins resteront creux et mornes, la sono muette, le ciel versera des larmes invisibles et le cuir se craquèlera.

Donc les joueurs passent chez nous, avec plus ou moins de succès, ils en partent avec plus ou moins de bons souvenirs. Mais ils se fixent toujours dans le cœur de quelques supporters, parce qu’il s’est passé quelque chose de beau, qu’ensemble, ils ont écrit des lignes indestructibles et inoubliables. Il faut avoir vu les yeux d’un minot devant son joueur préféré qui vient lui donner un sourire et quelques mots pour comprendre.

Les joueurs viennent chez nous, ils jouent, ils nous quittent. Mais ils ne sont jamais vraiment partis. Dans les travées, au coin des comptoirs, autour des tables le dimanche midi, des gens prononcent encore leurs noms bien longtemps après leur départ. Les Roques, Modin, Penaud, Shvelidze, Mela, Viars, Townsend, Vosloo, Besson, Joinel, Soubira, Kacala. Pardon aux centaines d’autres que je ne peux citer.

Mais si les joueurs restent d’une manière ou d’une autre, les dirigeants eux, ne font que passer. Le pire, c’est qu’ils se cessent de nous expliquer que c’est le monde qui est comme ça, qu’on n’y peut rien, qu’il faut se conformer. Un monde peuplé d’humains qui serait inhumain. Allez comprendre. Ce rugby soi-disant moderne, celui d’aujourd’hui, me déplait de plus en plus. Pas le jeu, sur le terrain, pour peu que les joueurs se souviennent qu’à l’origine ce sport était un jeu d’évitement, le rugby peut être incroyable de beauté et d’émotion, et quand ça arrive, peu importe la gagne ou la défaite, on a le cœur rempli. Non, ce que j’abhorre, c’est ce qui gravite autour, la pression des télés, les horaires débiles, le calendrier dantesque, certains arbitres influençables (je reste poli…), les flots d’argent qui ne parviennent pas à masquer la froideur qui gagne les rouages, cette fuite en avant, éperdue, aveugle, celle du poulet sans tête. Je ne me reconnais plus dans ce rugby-là, je veux qu’on me rende celui d’il n’y a pas si longtemps, celui qui me faisait pleurer, rire, hurler, crier et chanter, vibrer comme la fonte d’une ancienne cloche de village. Parce que si jamais on ne me le rend pas, si jamais on ne pratique pas les gestes de premiers secours sur ce grand corps musclé et meurtri, j’irai voir ailleurs, sur d’autres terrains, dans des divisions inférieures, là où la fraternité s’est réfugiée, la où elle palpite encore, où les terrains sont encore irrigués par l’amitié, où il n’y a pas encore d’argent qui pourrit tout, de sponsors trop gourmands, là où ça sent le vrai. Je crois que je ne suis pas prêt à retourner au Zébrium. Je viens d’un endroit où la parole donnée est donnée. Où ce qui est signé est signé.

Ce qu’on fait à Arnaud Mignardi, n’est pas une nouveauté, c’est une réplique. Il y a eu les épisodes Mela, Tadjer, Lapeyre. En son temps, même Alain Penaud avait été jeté comme une vieille chaussette.

Tout cela est honteux, une honte grasse, poisseuse, qui nous recouvre, et même si on nettoie à grande eau, j’ai bien peur que perdure l’odeur.

Alors merci pour tout Arnaud. 200 matchs avec sur le dos le maillot du CAB, ce n’est pas rien, c’est énorme. Au basket, quand un grand joueur se retire, on retire aussi son maillot. Son numéro devient inaccessible, on le suspend au plafond, comme récemment le mythique numéro 4 de Frédéric Forte au CSP, à Limoges.

Au rugby c’est impossible, mais dans le cœur des supporters, le 13 sera désormais en suspension au-dessus du stadium Amédée Domenech, un numéro 13 orné d’un bandeau noir et blanc, comme celui que tu portais à chaque match autour de la tête.

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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Classement Pro D2 Pts
1 Vannes 67
2 Béziers 67
 
5 Nevers 61
6 Brive 56
7 Colomiers 55
 
13 Soyaux-Angoulême 43
14 Biarritz 43
 
Classement Top 14 complet
Résultats Journée 23
Nevers 27 22 Provence Rugby
Vannes 10 17 Grenoble
Rouen 38 13 Aurillac
Soyaux-Angoulême 18 8 Valence Romans
Dax 57 20 Béziers
Biarritz 33 19 Montauban
Colomiers 22 15 Mont de Marsan
Brive 29 3 Agen
Résultats Top 14