Derrière les poteaux de Brive - Agen : Touche et coulé #60
Publié le mercredi 26 février 2020 à 06:00

La réception d'Agen devait, pouvait servir à creuser un bel écart avec un concurrent direct. Mais comme il est souvent tradition à Brive, on le relance plutôt. La fin de saison s'annonce toujours plus stressante mais malgré tout, rien n'est perdu. Le CAB est touché mais pas coulé, loin de là.

La soirée s’annonçait belle. La température fraîche se prêtait bien à la pratique du rugby, un ciel dégagé offrait une toile tendue et lisse au-dessus de Brive, les supporters étaient nombreux dans les gradins, et la lanterne rouge visitait la Corrèze. Bref, tout allait pour le mieux, la promesse était belle, mais elle allait être foulée au pied.

Décidément, depuis des années, le CAB est incapable de tuer le championnat du maintien quand il en a l’occasion. L’amertume est grande dans les esprits, et comment ne pas les comprendre. Une victoire contre Agen était synonyme de quasi-maintien, c’était la possibilité de voir se profiler la dizaine de matchs restants avec la sérénité du Bouddha. Mais c’était un scénario trop simple et trop limpide, pas assez de suspense. Le briviste aime se faire peur le soir au coin du feu. Rien ne vaut une belle frousse dans les dernières heures du championnat, quand le loup de la relégation gratte à la porte du vestiaire. Alors, le supporter chie dans son froc, il tremble de toute sa structure, il se plaque (on est au rugby) contre son voisin (pas le joueur, l’autre voisin, celui sans majuscule), voire l’entoure de ses petits bras musclés et enfouit sa tête dans son épaule pour ne pas voir la suite.

Oui, rien ne vaut une fin de saison avec le cul bien serré, où le supporter peut, comme Jean-Claude Van Damme, péter une noix avec ses fesses. Au moins, nous aurons de l’huile à vendre, nous n’aurons pas tout perdu.

Revoilà donc le temps des rencontres gâchées, celui des retours à la maison le cœur gros (on en a gros sire !), des soirées où le supporter enfile les virages pour revenir piteusement à la maison en ressassant encore et encore, ces ballons tombés, ces touches foirées, ce fiasco général.

La visite des palois avait montré certaines limites, avait fait naître chez certains esprits avisés quelques inquiétudes. Mais la verve de l’attaque, la réussite insolente acoquinée à la chance avaient fait passer la pilule. Décidément, le pruneau est indigeste pour le zèbre. Et il fout la chiasse au supporter. Il faut arrêter le pruneau, c’est une question de survie…et de digestion saine.

Bien sûr, quand on dirige une équipe construite pour aller à la bagarre du maintien, on ne gaspille pas ses chances, ni ses hommes. Il apparaît évident aujourd’hui, au surlendemain de la cruelle désillusion, à quel point un caractère comme Arnaud Mignardi a manqué au groupe. Même sans être sur le pré, ce genre de joueur, exemplaire dans l’engagement, leader de vestiaire qui sait trouver les mots et les prononcer avec l’émotion qui fait tressaillir et revivre, ce genre de mec est indispensable pour la stabilité d’un groupe. Se séparer d’un tel atout moral au moment du sprint final n’est pas de la plus grande stratégie. Et bien évidemment, les conditions piteuses de cette séparation n’ont pas aidé. Décidément, la stratégie marketing et la tactique sportive sont deux choses différentes, il serait bon de ne pas les mélanger.

Il faudrait être bien aveugle ou borné pour ne pas voir, avant le match, toutes les têtes des joueurs brivistes ornées de la couronne « Bisonesque » et se dire que le départ de Mignardi n’a pas laissé de traces. Qu’il n’y avait pas de message dans le port de cet accessoire. Oui, Bison a manqué samedi, dans le vestiaire, sur le terrain, dans les cœurs des zèbres et dans leur esprit. L’alchimie sportive et rugbystique, avec sa dimension collective est quelque chose d’instable, d’imprévisible. Il suffit de peu de chose pour que la magie et la confiance disparaissent. Quand on perd un élément de base, un mur porteur, forcément ça ébranle l’édifice.

Bien sûr, Thomas Acquier n’a pas été bon, mais cela arrive à tout le monde, même aux meilleurs joueurs du monde. Regardez Farrell contre l’équipe de France, l’ombre de lui-même. Quand, comme Thomas Acquier, on a offert tant de bons matchs au peuple briviste, on a le droit de passer à côté une fois. Et comme toujours en rugby, quand il y a naufrage, il est collectif. Un homme seul ne sauve pas une équipe, et un homme seul ne la fait pas sombrer. Ceux qui ont brûlé notre talonneur sont donc des personnes parfaites, qui n’ont jamais rien raté, quelle chance elles ont.

Les sifflets qui se sont répandus dans le zébrium se comprennent, la frustration, la colère, l’amertume. Pour autant, ils ne sont pas justifiés. Quand un joueur, un être humain, passe à ce point à côté de son match, ce n’est pas de sifflets et de quolibets dont il a besoin pour restaurer sa confiance, c’est d’encouragements, d’amour et de bonnes intentions. On ne construit jamais rien de bon sur le ressentiment. Et puis bon, 58 minutes pour se décider à le remplacer, à abréger ses souffrances…

La défaite, ample, cruelle, sans équivoque, a effacé les quelques bonnes choses qui se sont passées sur le pré, c’est toujours comme cela. J’ignore ce qu’il s’est passé samedi soir, à l’heure où les chauve-souris virevoltent. Ce que je sais, c’est que ce groupe est valeureux, qu’il a du talent, qu’il vaut mieux que ça. En écoutant Thomas Acquier s’exprimer sur sa prestation et en assumer avec courage les conséquences, une seule phrase m’a inquiété. Quand il a dit qu’il restait une dizaine de matchs pour se remettre la tête à l’endroit. Non, il ne reste pas une dizaine de matchs. Il reste un match. Il faut se remettre la tête à l’endroit dès le prochain match, pas le choix. Je sais que c’est le Lou, mais pas le choix. Dans le cas contraire, nous aurons droit à l’interminable et insoutenable descente aux enfers que nous avons connue lors de la saison 2017/2018, quand les dirigeants nous chantaient à qui mieux mieux, qu’il restait encore pas mal de matchs pour se refaire, qu’il restait encore six matchs pour se maintenir, qu’il restait encore quatre matchs pour se sauver, qu’il restait encore deux matchs pour…à ben non, merde, c’est mort, on va descendre.

Ne comptons pas sur ce petit matelas de rencontres pour se rassurer, disons-nous qu’il y a le feu, et qu’il faut l’éteindre tout de suite.

Pour finir, après la désillusion de samedi, je me demande quel genre de dirigeant peut laisser seul Thomas Acquier devant les caméras, à se flageller et faire amende honorable, au lieu d’être à ses côté, la main sur l’épaule, le regard rassurant, pour lui montrer qu’il n’est pas seul, que la « tête » compatit et que les responsabilités sont multiples et qu’elles doivent se partager. Mais on n’a pas eu droit à ça, nous ne verrons pas cette image à Brive, pas tout de suite en tout cas. À Brive, on laisse les joueurs ramasser les éclats des grenades qu’ils n’ont pas lancées. Au moins de ce côté-là, on est constants.

Allez les gars, vous n’êtes pas seuls, le peuple noir et blanc est là, même si une frange siffle, ce peuple est plein d’amour et de force, il sera toujours présent, sous la pluie, dans le froid ou le cagnard.

Une belle fin peut s’écrire, mais elle doit s’écrire dès le prochain match.

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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