La Corrèze. Terre de résistance. Petit pays né dans le dur, habitué au combat, à l’inconfort des lendemains incertains. Des siècles d’histoire et de douleur, de souffrance, de famine, d’oubli, de délaissement.
La Corrèze. Recoin de France où palpite une force venue des tripes de la terre, onde tellurique qui irradie tout ce qui vit à cet endroit et le nourrit. De Turenne à Edmond Michelet, en passant par l’interminable cohorte de l’armée des ombres et de ses illustres inconnus flamboyants, tout ici hurle son insoumission. Sous l’ombre des grands châtaigniers séculaires, dans les replis tortueux des rivières qui dévalent du fameux « Plateau », sur les pentes des collines aux rondeurs apaisantes mais trompeuses, dans la pénombre des vastes forêts insondables où résonnent encore les cris des maquis, dans l’œil du geai aux aguets, dans celui du sanglier qui fonce et que rien n’arrête, dans le brame guttural du cerf qui déclame sa force quand les feuilles se colorent de brun, dans le coup de rein de la truite noire aux flancs festonnés de points rouges, tout ici crie sa rage de batailles, de combats rudes et âpres, parce que c’est plus fort que les éléments, parce que c’est inscrit quelque part autour et à l’intérieur du vivant. Parce que peut-être, finalement, c’est l’art de vivre ici-bas.
Amédée Domenech s’y connaissait en bagarre ; au charbon, il y allait plus souvent qu’à son tour. D’autres marchent dans ses traces de crampons, et avec pugnacité et courage.
Bordeaux n’était pas venu pour trier les châtaignes. La plus belle équipe actuelle du championnat, qui avait glané des points à chacun de ses déplacements, comptait bien en rapporter encore, et pourquoi pas quatre, tant qu’à faire. Parce que dans cette vaste blague des grandes régions, en Nouvelle Aquitaine, il y a un championnat dans le championnat, un leadership à conquérir, et c’est toujours bon d’aller faire tomber la forteresse du voisin belliqueux. Peut-être que les précieuses subventions régionales seront indexées sur le classement final…
Le staff de l’UBB avait sans doute visionné les matchs du CAB à la maison. Il savait donc qu’il fallait conserver le ballon en début de match pour éviter les départs canons des zèbres. Pour une fois, Brive ne plante pas d’essai immédiatement mais Thomas Laranjeira passe tout de même une pénalité à la troisième minute de jeu. L’arrière du CAB est très en jambe et va, bien malgré lui, faire basculer le match ou tout au moins instaurer des conditions très favorables. En effet, lors d’un mouvement d’attaque, alors qu’il sinue dans la défense des bordelais, il se fait retourner comme une crêpe par Diaby qui tente ensuite de le planter dans le sol comme un poteau. Les images font peur, on craint pour la santé de l’arrière. L’arbitre n’a pas d’autre choix que de dégainer la biscotte rouge et l’UBB perd son capitaine (Oh capitaine mon capitaine…) pour le reste de la rencontre. Thomas Laranjeira lui, quittera le terrain pour un protocole commotion tandis que Diaby, l’apprenti jardinier qui a voulu planter un rugbyman, file à la douche.
S’en suit une période de flottement au cours de laquelle les deux équipes balbutient leur rugby sans produire quoi que ce soit de vraiment dangereux. Mais la Corrèze, c’est le numéro 19 et à la minute éponyme, une action initiée par la ligne de trois-quarts locale frappe la défense des visiteurs d’un éclair sous la botte affûtée de Julien Blanc qui balance un coup de tatane vers la ligne de touche. Le cuir est récupéré par Joris, jurant qu’il va marquer et qui plonge avec délectation dans l’herbe verte du zébrium. La foudre est tombée, son écho roule dans les tribunes survoltées tandis que la fumée du point d’impact se dissipe en fines volutes vers le ciel chargé.
Peu après, les zèbres se mettent à la faute mais le buteur béglais Botica fouille son coup de pied et manque les perches.
En fin de première mi-temps, double Axel Muller se prend pour un derviche tourneur et file un coup de coude en pivotant sur lui-même à un défenseur. Biscotte jaune. L’heure des citrons résonne et les deux équipes rentrent dans le ventre de la tribune Europe pour se refaire une beauté : se repoudrer le nez, se mettre un petit coup de peigne et, de manière plus pragmatique, faire un petit pipi, car jouer au rugby avec la vessie pleine est miction impossible.
Durant la pause, le coach briviste, lucide, met son groupe en garde contre une baisse d’intensité due au fait que l’UBB joue avec un homme en moins. Que cela ne serve pas d’excuse pour attendre que le match leur tombe tout cuit dans la bouche ! Cet état d’esprit tranche avec ce que l’on a connu au club et les joueurs ne peuvent plus se reposer sur des à-peu-près et compter sur des faits de matchs. Le capitaine, Saïd Hirèche est sur la même longueur d’onde et motive ses hommes.
À la reprise, l’UBB joue son va-tout, ce sont des vagues d’assaut qui se brisent successivement sur la défense corrézienne. Pendant presque un quart d’heure, les zèbres vont courber l’échine rayée et laisser passer l’orage, l’eau des espoirs. À l’heure de jeu, les noirs et blancs reprennent des couleurs et repartent de l’avant. Ils se font dangereux et les avants se multiplient sur le terrain, partout où le danger menace de prendre feu ils interviennent pour éteindre les ébauches d’incendie. La mêlée, si secouée à La Rochelle est solide et ne lâche rien, pas un pouce de pelouse. Mais la touche n’est pas en reste et les contres abondent et procurent plusieurs ballons offensifs qui font souffrir les visiteurs. Les travailleurs de l’ombre œuvrent pour le bien commun, ils se sacrifient dans les rucks, font don de leur corps à la science de leur charnière inspirée. Cela finit par payer. Après une belle mêlée briviste, le cuir voyage entre plusieurs mains et atterrit dans celle de Julien Blanc, encore lui, qui score avec une banane qui lui illumine le visage. Dans l’ombre et la lumière.
La brèche est ouverte, il faut finir le boulot. Les zèbres sont toujours tenaces en défense et ils commencent à songer à leur premier bonus offensif qui leur fait des signes de là-haut, dans le ciel de Corrèze, inaccessible depuis le début de la saison.
Nous voilà à cinq minutes de la fin, tout le stadium patiente, le cul serré, espérant cet essai qui ferait tomber un point supplémentaire dans la besace des cabistes. C’est une nouvelle fois un beau travail de la mêlée qui permet un départ de Matthieu Voisin qui va imprimer la face du ballon dans l’en-but adverse. Les supporters voient la vie en rose, la messe Edith, la messe est dite, la messe, Hé ! dites ! Dans l’ombre et la lumière.
Le bonus offensif est là, déposé sur la pelouse par un ange à la figure anguleuse et au profil de troisième ligne dur au mal. Il s’agit de le protéger jusqu’au bout. Les visiteurs grenat sont encore menaçants, mais ils se font encore voler une belle touche et le ballon, qui valdingue dans les gradins, sonne le glas de leurs espoirs.
Et de 22 à la maison, la citadelle devient forteresse, on la voit de loin, telle les plus imposantes fortifications érigées au cours de l’Histoire. La série est belle, elle représente une magnifique motivation de la continuer, la prolonger, le plus longtemps possible. Désormais, grâce à son invincibilité, mais surtout du fait de son jeu attrayant, le CAB est la promesse indigeste pour les futurs visiteurs, de 80 minutes très pénibles sous le ciel de Corrèze. Visiteur, entends-tu le vol noir des corbeaux…Dans l’ombre et la lumière…