Derrière les poteaux : le bar du 14 juillet #18
Publié le mardi 24 janvier 2017 à 11:12

Supporter une équipe met les nerfs à rude épreuve. On peut rapidement passer de l'amour à la haine en une action. Mais ce changement d'humeur fait partie de l'ADN du supporter. Les dicussions de comptoir sont souvent très animées, critiques et avec une bonne dose de mauvaise foi. Mais on ne refera jamais la passion du supporter car au fond de lui-même, il adore son club. Quoiqu'il arrive.

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C’est une lumière froide qui nimbe le bar du 14 juillet à Brive. En face, sur la place de la Guierle, deux corneilles sautillent et poinçonnent le sol par à-coups, puis décollent en deux mouvements d’ailes pour se poser sur un platane. Au bar la discussion va bon train. L’heure de l’apéro approche au rythme des aiguilles. Cyrielle Sanchez, la jolie patronne essuie des verres tout en offrant une oreille attentive aux conversations. Elle adore écouter ses clients débattre les lendemains de match. C’est un spectacle. Le grand écran de la télévision, noir et sans vie semble sommeiller. Seule la radio qui jaillit des enceintes couvre un peu les voix excitées des fidèles. Le long du zinc, l’alignement est impeccable, pas un coude qui dépasse. Les bocs de bière se vident et se remplissent au grès des humeurs. Le formica rouge des tables réverbère les flèches de soleil qui tombent de biais au travers des silhouettes décharnées des platanes déplumés. Marcel est présent, comme toujours. Il y a aussi celui que Cyrielle surnomme « le rougeaud ». Ces deux-là s’y entendent pour critiquer le CAB et les joueurs, quoi qu’il advienne ils ne trouvent jamais aucune raison valable de se réjouir.

- Cette équipe de bras cassés elle me désespère lança comme un appât dans un lac, Marcel qui avalait des cacahuètes à un rythme de métronome.

- J’suis d’accord rétorqua le rougeaud. C’est bien la peine de gagner avec le bonus offensif et cinq essais pour aller jouer et perdre à Bath pour le quart de finale.

- Mais oui, tout s’est joué contre Vorcestern.

- Worcester Marcel, on dit Worcester se moqua un autre au bout du comptoir.

- Ouais p’t’être bien, n’empêche qu’on a rien branlé contre ces angliches de mes deux et maintenant on va aller se faire corriger à Bath. Parce que là y a pas photo hein, ils vont nous étriper.

- Ça ne sert à rien de ruminer, c’est du passé. Hier il y a eu de bonnes choses quand-même ? On ne gagne pas avec le bonus offensif si on est nul non ? interrogea un type en train d’éplucher La Montagne calé contre le mur du fond.

Marcel et le rougeaud se retournèrent, surpris d’être contredit. Marcel passa à l’offensive.

- Ben on a surtout eu du pot, un pot de cocu. Combien de temps on va tenir avec juste nos avants qui produisent du jeu ? Derrière c’est vraiment la dèche. En plus avec le tournoi qui approche on va avoir trois sérieux clients en sélection.

L’homme reposa son journal sur la table et sembla réfléchir un peu, comme pour mettre ses idées en ordre. Puis il se lança :

- Derrière ce n’est pas joyeux, je le concède, mais il y a des raisons de voir les choses du bon côté.

- Ah ouais ? Et comme quoi ? demanda d’un ton atrabilaire le rougeaud qui ne savait pas s’exprimer sans agressivité.

- Hé bien tout d’abord nos trois-quarts ont envoyé plus de jeu, il y avait du contenu et des intentions franches. Ça n’a payé qu’une seule fois, sur l’essai de Ngwenya. Cet essai on ne le doit pas à la chance, il a été construit par un beau mouvement qui part du centre avec Cabannes puis Germain en liaison, en plus cette action a associé les arrières et les avants car c’est Luafutu qui sert notre ailier. Luafutu il revient très fort cette saison.

Un silence de cathédrale se glissa entre les bocs et les tables. Marcel et le rougeaud ne s’attendaient pas à une telle argumentation, ils semblaient chercher une réponse en catastrophe mais leurs cerveaux embrumés par l’alcool patinaient méchamment.

- Peuh ! une belle action sur 80 minutes c’est maigre vous ne croyez pas ? balança Marcel. Son pote lui emboita le pas, comme pour pousser l’avantage :

- Derrière c’est nul, d’ailleurs ils ont vite compris, quand ils ont vu qu’ils n’arrivaient à rien avec la cavalerie ils ont fait donner les blindés, résultat 4 essais des 1ères lignes.

- M’en parle pas, cinq fois « les sardines » au stadium, j’avais plus l’habitude, le soir, je me suis endormi avec la chanson dans la tête.

L’homme but une gorgée de son café sous le regard amusé de Cyrielle. Les deux autres étaient campés sur leurs jambes, pendus à ses lèvres, prêts à recevoir la riposte.

- Ce qu’il faut voire c’est le contenu. Ce n’est pas parce que ça n’a fonctionné qu’une seule fois que le reste est à jeter. Ce match montre à mon avis que la qualité des joueurs n’est pas en cause, c’est plutôt l’organisation et le placement offensif qui le sont. Plusieurs fois Burotu, Germain ou Koya ont franchi la défense, mais il n’y avait personne pour recevoir la passe et continuer l’action. C’est assez typique du mal du groupe et d’un mauvais placement. Et c’est récurrent. Une percée comme celle de Koya, ça doit aller au bout avec de la continuité. C’est ça qu’on n’a pas encore. Il y a eu cette fulgurance sur l’essai de Ngwenya, c’est ce modèle qu’il faut reproduire.

- En attendant, on est à plus de la moitié de la saison et on ne voit rien venir. M’est avis que c’est le staff qui merde renchérit le rougeaud. On plafonne, on a même régressé depuis la saison de la remontée.

- Ouais, d’ailleurs vous connaissez la dernière blague ? demanda Marcel. Devant le silence il continua :

- Il paraît que Godignon a vendu sa moto. Vous savez pourquoi ?

Les gens présents et le rougeaud répondirent d’un signe de tête négatif.

- Ben parce qu’il n’existe aucun casque à sa taille …

Tous s’esclaffèrent en tapant sur le formica ou sur l’épaule du voisin. Le silence revint et pendant quelques secondes on entendit que le tintement des verres et le bruit musical de la caisse. A la radio Tina Arena chantait « Allez plus haut » …

Marcel reprit comme pour conserver l’avantage :

- Et puis la touche, vous avez vu la touche, il paraît que c’est notre point fort, ça m’a pas sauté aux yeux hier.

- Il faut modérer cette impression, les essais marqués sont presque tous issus d’une touche. Et puis notre meilleur contreur ne jouait pas. Mais c’est vrai qu’ils ont déjà été meilleurs dans ce secteur. Mais en revanche la mêlée a assuré, et Damien Lavergne, que certains étaient prêts à pendre haut et court après la défaite à Paris a largement contribué, et il marque un essai grâce à sa présence et son suivi du jeu.

Une mobylette vrilla le silence en passant devant le café. Le rougeaud tenta encore sa chance :

- Moi ce qui m’inquiète c’est la défense, elle est friable, dès qu’on est bousculé ça craque, et souvent au centre. A ce compte-là, contre Bath on va prendre cher, et même à Bayonne c’est loin d’être gagné. Pourtant une victoire chez eux ça nous donnerait le maintien.

- Chaque match est différent, comment savoir ce qui va se passer répondit l’homme au journal. Mais ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas gagné souvent à Jean Dauger, et à midi et demi on est pas très efficace.

- Parlons-en de cet horaire à la con, il n’y a aucune équité dans ce truc-là, il a bon dos le tirage au sort, c’est magouille et compagnie oui !

- Ce qui est clair, c’est que hier, hormis dix minutes, on a fait un match plein, engagé et sérieux asséna l’homme en reposant sa tasse de café. Mais il faut être plus exigeant sur les détails, comme les passes ; chez les trois-quarts elles sont souvent bien piètres, à deux mètres de haut, dans le dos ou dans les chaussettes, ça complique les choses, et je ne parle pas des ballons tombés. Par contre notre neuf, Lobzanidze, il a une sacrée qualité de passe. Vous êtes quand-même d’accord pour dire que c’était bien meilleur que contre Worcester, pas très dur vous me direz je sais, mais quand-même. Nos arrières ont beaucoup loupé, mais c’est parce qu’ils ont beaucoup tenté.

- Mouais, admettons rétorqua Marcel. Le rougeaud continua comme pour avoir le dernier mot.

- Je vais souvent sur les forums, celui du rugbynistère, le Midol, Rugbyrama, et j’peux vous dire que ça fait d’la peine de lire les commentaires sur notre équipe. On a une image déplorable, notre jeu restrictif ne fait rêver personne, c’est pas comme ça qu’on attire des bons joueurs, ni les sponsors d’ailleurs. Faut voir comment on se fait allumer.

Il attrapa son verre qu’il vida d’un coup de tête bref en arrière puis le reposa avec emphase sur le comptoir.

- Cyrielle ! Tu nous remets ça !

Les deux corneilles qui observaient la vie des humains du haut du platane quittèrent leur poste pour aller voir ailleurs. Comme s’ils en avaient assez de Marcel et de son compère le rougeaud. Désormais un autre match se profilait à l’horizon, un match crucial, qui pourrait décider de pas mal de choses pour l’avenir du club. Le rougeaud régla sa note et quitta le bar. Il s’arrêta sur le trottoir, le soleil agressait sa rétine et sa tête tournait un peu. Il était dans un état second. Son regard de pochtron balaya la place de la Guierle. L’espace d’un instant il se revit à la même place, fous de joie, il y a vingt ans … Et il entendit la foule ivre de bonheur et les klaxons, et les chants. Il secoua la tête et prit la direction de son domicile en utilisant toute la largeur du trottoir.

 

 

 

Article rédigé par Sébastien Vidal.

Sébastien Vidal est un romancier corrézien, amateur de rugby et du CA Brive. Il est l'auteur de Un ballon sur le cœur. Si vous ne l'avez pas dans votre bibliothèque, n'hésitez pas à vous le procurer (cliquez sur le lien)

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Rémi Brazon, Rédacteur
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