Derrière les poteaux : Jacky et Michelle se pèlent le cul #31
Publié le mercredi 6 décembre 2017 à 06:00

Samedi, tout le monde savait l'importance de ce match entre Brive et Oyonnax. Joueurs comme supporters, tout le monde voulait cette victoire contre un concurrent direct au maintien. Mais tout le monde a tremblé jusqu'à la fin. A cause du froid et du scénario du match.

« Un vent de Sibérie souffle sur la bohème… » Lorsque Jacky pose son séant sur le siège de la tribune Pebeyre, sans pouvoir en dire la raison, c’est cette chanson de Michel Sardou qui trotte dans sa tête. Malgré les trois couches de vêtements épais qu’il porte sur le dos il grelotte comme un nourrisson expulsé du ventre de sa mère. Michelle entoure son bras droit dans les siens et se serre contre son corps à la recherche d’une chaleur résiduelle. Pour l’instant les gradins peinent à se remplir ; sans doute que les gens vont rester le plus longtemps possible au chaud et se pointer à l’ultime moment. La nuit vitrifie le ciel obscur. Il est si impénétrable et silencieux, démuni de tout signes, qu’aucune pythie n’aurait pu y lire le moindre présage. Des courants d’air glacé serpentent entre les travées et saisissent les corps affligés de tant de morsures froides. L’hiver s’insinue partout, il occupe l’air lui-même, jusqu’à sa plus infime particule. Tout est figé, en attente d’un salut thermique.

- Si j’avais su ça, j’aurais pas mis un string, j’ai les fesses congelées susurre Michelle à l’oreille de son époux.

La remarque allume une étincelle dans l’œil réfrigéré de Jacky, et tout en observant les hanches de sa belle il sent une lointaine illusion de chaleur monter en lui. Mais la sensation est aussi fugace que l’étincelle, finalement elle n’allumera rien d’autre que la chandelle qui se forme au bout de son nez. Les deux meutes finissent par entrer sur le pré vert, mais Jacky et Michelle pensent qu’il n’y aura pas trop de poésie ce soir. Les deux équipes jouent très gros, la tension est importante. Dès l’entame, les zèbres… jettent un froid. Essai et transformation. La rencontre ne pouvait pas mieux commencer ; d’aucuns diront que nos coujoux avaient mis de l’antigel dans le moteur. Mais c’était sans compter sur la rusticité des visiteurs qui s’y connaissent en températures rugueuses. Comme souvent, au lieu d’enfoncer le clou après la première estocade, nos gars se relâchent et se contentent de cette estafilade. Cela combiné à la défense briviste qui part vraiment en capilotade le CAB prend tout de suite une énorme pression sur son terrain. On espère en tribunes que cela ne va pas tourner à la pantalonnade. La couleur est annoncée, les Oyomen ne sont pas venus pour trier les lentilles. Mais Codjo prend la rocade et va planter le cuir au milieu des poteaux. La cavalcade balance un coup de froid sur le Zébrium qui n’avait pas besoin de ça. Les spectateurs attaqués par le gel dérouillent et n’osent ni ouvrir la bouche ni sortir les mains des poches.

- Ça sent la mascarade lâche Jacky un brin songeur.

- Moi je préfère les roucoulades répond langoureusement Michelle qui laisse aller sa main dans l’entrejambe de son chéri. Si ça ne l’excite pas, au moins ça me réchauffe les doigts pensa-t-elle.

Sur la pelouse c’est un peu la loose. La défense cabiste, un brin frileuse, s’est réfugiée dans la chaleur des vestiaires. Elle n’en sortira plus. Finalement la corne de brume annonce avec emphase la mi-temps. Quatre petits points d’avance pour les locaux qui n’en mènent pas large. Les noirs et blancs rentrent sous la tribune Europe pour subir les rodomontades du staff. À force de se faire remonter les bretelles, ils doivent les avoir accrochées aux oreilles. Très vite, le public quitte ses emplacements pour filer siroter un vin chaud aux buvettes des Monédières. Cette longue cohorte de silhouettes noires et blanches, se déhanchant à cause du froid hostile rappelle à Michelle le film « La marche de l’empereur ». Il n’y a plus qu’à espérer que nos zèbres ne soient pas des manchots au retour des citrons glacés.

- Tu as vu cet arbitrage minable ?! demande Jacky.

- Comme si on avait besoin de ça, déjà qu’on est pas très bons sans lui rétorque Michelle.

- J’espère que la mi-temps va lui faire fondre la glace qu’il a autour des yeux, parce que les hors-jeu, les plaquages hauts, c’est la fête du slip angora.

- Ouais, et je me demande si l’essai d’Oyonnax n’est pas en-avant en plus.

- Exact à la vidéo il y a un gros doute.

- Putain, j’ai la peau des fesses qui se décolle, j’aurais dû enfiler une bonne vieille grosse culotte de mémère.

- Moi pareil.

- Ben ?! qu’est-ce que tu raconte Jacky, t’as pas mis de string toi !

- Ah mais non, je parlais de mes arpions, je les compte pour vérifier que je n’en ai pas perdu. Je ne les sens plus.

- Oui, il faut les aimer ces zèbres pour endurer ça.

Les deux équipes réinvestissent l’air de jeu. Confirmation, la défense n’est pas revenue. C’est glissade et roulade, bouffarde à l’occasion. Les locaux en bavent, ils sont désorganisés en défense, il y a des trous, des plaquages ratés, des tas de plaquages ratés. Alors que des spectateurs ne sont pas encore revenus s’asseoir les hommes rudes du Bugey inscrivent un autre essai. Après le coup de froid du premier c’est le rhume avec le second. Le public, atone, ne réagit pas. C’est pourtant dans ces instants de banquise que son soutien est précieux et nécessaire. Dans le coin Sud du paquebot Pebeyre, une assos de supporters chambrent un peu tout le monde en chantant « et ils sont où, et ils sont où les supporters… ». De bonne guerre et malgré tout assez amusant. Mais parmi les 9400 et quelques individus présents, personne ne réagit. À croire que le gel a gagné les conduits auditifs. Mais les joueurs sont solidaires, ils ne lâchent rien, c’est beau à voir cette cohésion. Ils s’accrochent aux branches, ils déploient les barbelés, même un peu en vrac ça tient le coup.

Il faudra encore quelques fâcheux oublis de monsieur l’arbitre pour réveiller enfin l’ancien volcan qu’on croyait endormi. En terre briviste c’est toujours un peu la même histoire. L’homme en vert cristallise les énergies alors que les champions laissent un peu de marbre. Si un jour, nous cessons d’agonir l’arbitre - parce que c’est inutile - et que nous utilisons nos forces et nos voix pour pousser nos joueurs, tout sera changé, et en mieux.

- Putain c’est pas vrai ! Et le plaquage haut là, c’est du pipeau ?! Ce mec son vrai nom c’est Raynaze lance Jacky.

- Tu y vas fort, il en a oublié en notre faveur aussi.

- C’est bien la preuve qu’il est nul.

La fin de match est un chassé-croisé d’anthologie. Alors que l’horloge fait tic-tac, l’incontournable Karlen Asieshvili offre un plongeon ric-rac mythique qui mystifie la défense oyonnaxienne. Le CAB repasse devant pour trois petits points.

La fin de match devient une nouvelle fois étouffante malgré la température. Les supporters serrent tous les fesses.

- Oh là là, je ne pourrai jamais ôter mon string tellement je serre les fesses se plaint Michelle.

- Je te l’arracherai avec les dents s’il le faut répond Jacky avec un sourire lubrique.

Ultime touche pour Oyonnax tout près de l’en-but corrézien. Tension maximale. Un silence se fait quand le ballon se détache des mains du talonneur visiteur. Il s’élève presque au ralenti et passe au-dessus du premier bloc. Plus personne ne respire. La buée froide qui sourdait des bouches gercées a disparue. Instant presque immortel. Puis un bras surgit, celui du capitaine briviste. Il capte le précieux objet en cuir. Le CAB a gagné, il nous a menés à bon port Said.

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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