Derrière les poteaux : Il était une fois #33
Publié le mardi 9 janvier 2018 à 06:00

Le royaume du Top 14 offre de sacrées batailles à longueur de saison. Les armées sont différentes mais pour l'honneur de leur seigneurie, elles sont prêtes à tout. Samedi, la bataille a été intense et cela s'est joué sur un ultime mouvement de troupe. Une bataille est passée, d'autres sont en approche.

Il était une fois un petit club du centre de la France. Un petit club par le budget mais grand par son histoire. Cette histoire, des centaines de joueurs s’étaient succédés pour l’écrire en Noir et en Blanc. Après quatre finales de championnat perdues, après un haut fait d’arme lors d’une légendaire finale de coupe d’Europe à Cardiff en 1997, ce petit club se hisse sur le toit du rugby continental.

Les années ont passé, la fièvre est retombée en même temps que les finances. Mais un vieux cœur qui a battu la chamade n’oublie jamais ses anciennes sensations de grandeur et de ferveur. C’est ainsi qu’il se ravive parfois, au gré d’une finale victorieuse pour le retour en Top14, pour le maintien dans cette élite, au rythme de matchs couperets, d’authentiques exploits, de retours du diable Vauvert et de résurrections plus incroyables les unes que les autres. C’est un club où il faut avoir du cœur, et bien accroché.

Samedi c’était un de ces bons soirs, un de ceux qui resteront gravés dans les esprits. L’esprit collectif et celui du club. Dans les sous-sols secrets et mystérieux de la tribune Europe, assis à même le sol et chantant des airs à la gloire des champions d’hier et d’aujourd’hui, éclairés par la flamme vacillante d’une bougie plus que centenaire, des scribes en tenue noire et blanche gravèrent dans les livres de Mémoire du club le dernier haut fait d’arme en date.

C’était donc samedi 6 janvier 2018, dans un stadium baigné par une lumière rasante de fin du jour. Le petit poucet recevait humblement l’Ogre toulonnais. Mais le petit poucet, prévoyant, avait semé depuis le début de la saison, des petits cailloux sur son chemin de croix. Pas plus tard que le week-end précédent, il avait déposé à même l’herbe marécageuse du stadium, des pierres lumineuses et dures comme le diamant, pour trouver le bon chemin, pour avoir toujours une lueur d’espoir, même dans l’ombre de la défaite qui s’avance.

Tout avait commencé par un grand moment d’émotion. Deux clubs et trois lettres chacun. CAB, CSP. Le club de religion Ovale rendit un vibrant hommage au joueur, champion et président bien trop tôt disparu d’un club voisin tout aussi historique, légendaire, mais de confession ronde et orange, qui fut le premier club de sport collectif français champion d’Europe. Tous debout en tribune, frappant en rythme, durant une minute inscrite dans l’éternité, nous avons dit avec nos mains, toute notre gratitude, notre peine et notre respect. Merci Monsieur Frédéric Forte.

Ensuite, sous les acclamations tumultueuses d’un zébrium retrouvé et sans complexe, le petit poucet s’est dressé avec fierté devant les grosses mains calleuses et les très larges épaules de l’Ogre. Ils se lancèrent l’un sur l’autre et le choc fut assourdissant. Un des plus vaillants soldats du petit poucet tomba presque dès le début, à la huitième minute, l’épaule dans la boîte à gants et des regrets plein la bouche. Mais la victime promise ne se voulait pas expiatoire. Elle se voulait ostentatoire. Elle envoya du grain, et du gros, elle envoya du grain et du grave, elle envoya du grain et du grand. Taillant dans le vif et dans le gras, les avants mais aussi les arrières s’employèrent sans compter. Comme on dit au pays du petit poucet, ils y mirent la nifle.

L’Ogre était décontenancé. Il n’avait pas eu le choix du lieu de la bataille et l’endroit ne lui disait rien qui vaille. Une immensité aux allures de champ de patates, cerclé de murs de poussière sur lesquels, serrés comme des sardines, des coujoux timbrés mêlés à des gaillards cinglés encourageaient comme un seul supporter le petit poucet. L’Ogre redoublait d’intensité dans ses assauts lourds et massifs, mais le petit poucet, juché sur d’agiles et légers zèbres se montrait malin et impavide. Il connaissait le terrain par cœur, ce marigot entre le bayou de Louisiane d’un côté et la mangrove de Martinique de l’autre. Il mettait au point avec patience le piège fatal pour attirer le géant venu du pays des cigales dans la chausse-trappe mortelle de la tourbière du longeyroux.

C’est qu’il ne comptait pas son énergie le petit, il dépensait sans retenue, comme Putasi Luafutu qui assomma sur une charge digne d’un rhinoféroce le troisième ligne adverse flanqué du numéro six. Un choc à déferrer un cheval.

Le ciel lui, avait refermé ses vannes pour un moment. Epais et insondable, il faisait planer sur l’adversaire les pires menaces d’engloutissement. Alors, l’Ogre affamé par quatre batailles perdues loin de sa cité lança toutes ses forces dans l’affrontement. Il y eut du bruit, de la fureur, des chocs titanesques. Il y eut des amas de chair humaine et des litres de boue mélangés à des litres de sueur. Le petit poucet pliait un peu, reculait et puis se reprenait, poussé qu’il était par ces gens tout autour. Il entendait les « Ici, ici, c’est la Corrèze », et il se disait que ce n’était pas possible de décevoir encore et que la Force était avec lui. L’âme damnée de l’Ogre, Mourad, se faisait du mouron. Le conseiller de l’ombre de l’Ogre, Fabien G, s’était déjà réfugié très haut dans les tribunes, il avait eu vent par des espions que la terre du milieu avait envoyé en renfort au petit poucet le chevalier Urios qui ne manquerait pas de lui flanquer une claque.

La bataille atteignit bientôt son apogée. Les nuées s’étaient finalement ouvertes, les robinets célestes arrosèrent tout le monde. À la lueur des flambeaux allumés aux quatre coins du champ de patates, le petit poucet changea son tracteur de marque Waqa pour un autre siglé Koya. Le premier avait bien défoncé la cuirasse, le second allait la faire voler en éclats. Mais l’Ogre n’avait pas poussé son ultime rugissement, et alors que la victoire se dessinait par légers coups de pieds du côté des envahisseurs, les zèbres fourbus mais enragés et soudés comme jamais lancèrent une dernière offensive juchés sur le char de l’espoir et de la volonté. Tout un peuple poussant derrière, scandant, hurlant, vociférant car il sentait bien que tout pouvait encore basculer.

Après une énième mêlée et une charge destructrice de l’inusable Sisa, après un choc dantesque près des poteaux, comme deux bisons front contre front, les deux parties exsangues ne purent prédire l’issue du combat. Le zèbre Jourdain vint mourir à un centimètre de la terre promise (forcément avec un nom prédestiné) mais son action permit à un autre zèbre, Lapeyre, de se saisir du ballon et de planter l’estocade au milieu d’un zébrium survolté, transporté, volcanisé.

L’Ogre doutait, il voyait la victoire lui échapper, alors qu’elle avait été si près, il la tenait là, dans sa main de colosse. Il regarda impuissant le canonnier local décocher son tir et vit ses derniers espoirs exploser sous son impact.

L’Ogre était défait et il n’en revenait pas. Le petit poucet exultait, il l’avait fait, ils l’avaient fait, nous l’avions fait.

Tandis que le géant aux pieds d’argile gisait les genoux enfoncés dans la terre et le sable et le nez dans le muguet, le petit poucet faisait le tour du stadium, les bras levés, les sourires magnifiés, le cœur léger.

Plus de dix mille âmes flottaient dans les travées, en lévitation qu’elles étaient.

Et dans les esprits résonnaient les paroles de Maître Yoda, qui n’avait pourtant jamais joué au rugby « N’essaie pas ; fais-le ; ou ne le fais pas, mais il n’y a pas d’essai ». Samedi il y en a quand même eu un, celui de tout un groupe qui s’est enfin retrouvé, conquérant, pénible, pugnace et rude.

Le Mordor est averti, et que les Orks tremblent ; car les zèbres, les elfes, les coujoux, les Nains et les gaillards et bien d’autres clans se sont unis pour la survie, un cri a résonné, le son de la révolte est sorti de la Longue Corne, qu’on se le dise, ce n’est que le début. Miladiou !

 

Photo : Breniges FM

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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