Derrière les poteaux : Ernest #48
Publié le mercredi 27 février 2019 à 06:00

La passion pour un club, un sport remonte parfois bien plus loin que de sa simple personne. La passion est souvent transmise de génération en génération. Elle traverse les époques, les équipes, les mauvaises et les bonnes saisons. Ainsi va la vie d'un supporter. Parfois joyeux, parfois en colère mais toujours passionné par son équipe de coeur.

Le silence occupe toute la place. Il fait nuit depuis longtemps. Quelques personnes travaillant pour la ville ou le club débarrassent encore un peu de matériel, enroulent des câbles, décrochent des panneaux. Les gradins sont on ne peut plus vides, pas une âme, pas une parole. Une brise sautille de siège en siège, elle apporte au vieil homme assis là des bribes de bruits provenant des abords de la pelouse. Il discerne son ombre qui s’étale sur le béton de la tribune, une silhouette étique, même avec son gros manteau.

Ernest est pensif. Il aime bien rester le plus longtemps possible après les matchs, gagnés ou perdus, seul au milieu de ce stadium qu’il aime tant. Le stade Amédée Domenech. Amédée, il l’a vu jouer avec les couleurs brivistes, et ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent s’en vanter et venir encore au stade.

C’est qu’il a dépassé les quatre-vingt-dix ans Ernest, il en a vu des choses dans ce stade ! Minot son père l’emmenait voir les rencontres, malgré son âge il en conserve un souvenir puissant, de ceux inaltérables qui peuplent la mémoire et s’enracinent dans la forêt de l’enfance. Ensuite il y est venu avec sa fiancée, puis elle est devenue son épouse et ils ont continué à venir, d’abord en couple puis avec les enfants. Et le temps a commencé à faire son horrible office. Il a déboisé sa famille, peu à peu, doucement, sans avoir l’air d’y toucher. Le papa en premier, celui avec qui il était entré pour la toute première fois dans ce stade inauguré le 21 septembre 1921, il n’était même pas né ! Et puis sa mère s’en est allée, inconsolable d’avoir perdu son époux. Dans la décennie 2000 c’est Marguerite, son épouse, qui s’est fait la malle, avec discrétion, comme elle a toujours vécu.

Les enfants vivent loin, aux quatre coins de la France, alors désormais il vient seul, abonné depuis si longtemps qu’il en a oublié la date. Ce siège c’est le sien, il a l’habitude de dire que lorsqu’il mourra, on le mettra avec lui dans le trou.

Ce vendredi soir, alors qu’il a assisté à une orgie d’essais contre Vannes, il aime se souvenir des bons moments, et aussi des mauvais. Ceux des descentes bien sûr, surtout les deux dernières qu’il a vues venir de très loin sans pouvoir rien y faire. Il remonte son col et un léger frisson remonte son dos décharné par les années. Il se repasse le film des essais de la soirée. Il faut dire qu’il avait perdu l’habitude de ce genre de spectacle. D’autant que ça partait plutôt mal, avec cette mêlée sans cesse le nez dans l’herbe, pénalisée à tout bout de champ. Heureusement les trois-quarts, la cavalerie légère, ont trouvé la faille, emmenés par ce petit dix formé au club, avec ce prénom italien, comme le créateur de la marque de voitures de prestige, Ferrari. Il l’aime bien ce jeune, il le trouve prometteur, il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’il lui prédise une très belle carrière. Et en ouvreurs il s’y connaît Ernest. Il en a vu passer des velus au CAB, Jean-Claude Roques bien sûr, Doumec, Freygefond, Alain Marot, Jean-François Thiot, Delage, Alain Penaud évidemment, un joueur pour lequel, malgré les souvenirs d’enfance, il avait une préférence évidente. Il n’oublie pas Petijean et Orquera l’argentin et se dit que le petit Hervé est de cette lignée.

Le murmure des voitures qui circulent au loin vers le centre-ville lui rappelle que les temps ont changé. Du toit de l’Europe, le CAB est tombé peu à peu, de Charybde en Scylla.

- Bon dieu !

Il tape du poing sur le siège d’à côté, quelles équipes bandantes il a vu jouer ici. Les campagnes des années 60 et 70, juste stoppées en finale, le Du Manoir, la finale de 96, la fabuleuse bagarre contre Pontypridd, et un de ses seuls déplacements hors de France, ce jour de janvier 97, à Cardiff. Inoubliable.

Ernest secoue la tête, il va devoir y aller. Il voit le gars du club qui monte vers lui, comme à chaque fois. Il posera sa main sur sa vieille épaule, affichera un sourire d’empathie et lui dira « il faut partir monsieur Ernest, venez, je vous aide à descendre ». Ils feront quelques pas dans les escaliers et il lui demandera inévitablement « alors ce match ? Vous en dites quoi monsieur Ernest ? ». Ernest lâchera un borborygme puis offrira un clin d’œil plein de malice et ils parleront du prochain match à l’extérieur en se rendant jusqu’au portail de l’entrée sud. Le prochain match, déplacement à Bourg en Bresse, pas un match facile, peut-être le match qui va tout sceller, accrocher une des deux premières places ou dire adieu aux demies à la maison. Et il ne sait pas Ernest, malgré ce festival offensif auquel il a eu droit ce soir, avec cette équipe imprévisible, il ne sait pas. Il espère.

Le type du club lui sert la main, ils se disent bonsoir autour des feuilles qui volent un peu au ras du sol.

C’était un bien beau match pensa Ernest, un bien beau match.

 

Sébastien Vidal, Chroniqueur
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